Le
sous-axe " Magie, divination, poison " est actuellement
en pleine mutation. Alors qu'il consistait surtout auparavant
en une somme de travaux individuels, il s'appuie désormais
sur un projet collectif autour de la notion de norme sociale
et de ses différents modes d'adhésion et de transgression.
Dans la mesure où l'on sait maintenant que la plupart
des astrologues, devins, magiciens, sorcières et empoisonneurs
médiévaux, ou réputés tels, ne sont
pas des exclus de la société, il s'agit de tenter
d'apprécier dans quelle mesure leurs activités
s'inscrivent dans des stratégies d'intégration
et d'ascension sociales, de conquête et d'exercice du
pouvoir et du savoir, et de mieux comprendre les mécanismes
qui ont abouti aux accusations portés contre eux et à
la répression différentielle dont ils ont été
les victimes. Cet objectif implique de croiser tous les types
de sources en exploitant à fond la documentation normative
et les sources externes sur les pratiques supposées de
ces différents personnages (sources historiographiques,
théologiques, juridiques, judiciaires, etc.), mais aussi
et surtout de faire la part belle aux sources de première
main, émanant des astrologues, magiciens et toxicologues
médiévaux eux-mêmes, dont l'étude
et l'édition critiques restent largement à faire.
Les trois membres de ce sous-axe ont soutenu récemment
leur habilitation à diriger des recherches et une thèse
de doctorat. Ils sont donc davantage disponibles qu'auparavant
pour s'engager dans ce projet collectif. Il s'agit de :
-
Jean-Patrice BOUDET, ancien élève de l'École
Normale Supérieure de Saint-Cloud, agrégé
d'histoire, professeur d'histoire médiévale
à l'Université d'Orléans, a soutenu,
en décembre 2003, une habilitation à diriger
des recherches dont la pièce maîtresse s'intitulait
Astrologie, divination et magie dans l'Occident médiéval
(XIIe-XVe siècle). Essai de synthèse. Ce
travail devrait être édité dans le courant
de l'année 2005 aux Publications de la Sorbonne, sous
le titre : Entre science et nigromance. Astrologie, divination
et magie dans l'Occident médiéval (XIIe-XVe
siècle). Parmi ses projets qui relèvent
de ce sous-axe, il compte participer à l'édition
d'un manuscrit de magie copié à Milan en 1446
(Paris, BNF, ms italien 1524), en collaboration avec Florence
Gal (doctorante, auteur d'un DEA soutenu en 2002 sur ce manuscrit)
et Vittoria Perrone Compagni (professeur à l'Université
de Florence). Il compte également achever sa traduction
française du Liber judiciorum de Raymond de
Marseille (vers 1140) et envisage de collaborer, avec Laurence
Moulinier (maître de conférences à l'Université
de Paris VIII), à l'édition du De urina non
visa de Guillaume l'Anglais (vers 1220), un traité
d'uroscopie astrologique. À plus long terme, il a également
l'intention de collaborer, avec Olivier Mattéoni et
au sein du sous-axe n° 1,
" Histoire de la justice ", à l'édition
du procès criminel de Jacques d'Armagnac, duc de Nemours
(1476-1477), qui met notamment en cause l'astrologue et géomancien
franciscain Guy de Briançon et un " nigromancien
", Antoine de Lafons ou de La Forêt.
-
Franck COLLARD, ancien élève de l'École
Normale Supérieure de Fontenay, agrégé
d'Histoire, professeur d'Histoire médiévale
à l'Université de Reims, a soutenu, en janvier
2003, une habilitation à diriger des recherches dont
l'essai inédit s'intitulait Crimen occultum.
Essai sur le crime de poison dans l'Occident médiéval.
Cet essai a été publié sous une forme
ramassée en 2003, aux Presses Universitaires de France,
dans la collection " Nud gordien ", co-dirigée
par Claude Gauvard, sous le titre Le crime de poison au
Moyen Âge. Il a également publié un
important article sur les rapports entre les accusations de
poison et de sorcellerie :"Veneficiis vel maleficiis.
Réflexion sur les relations entre le crime de poison
et la sorcellerie dans l'Occident médiéval ",
Le Moyen Âge, t. 109 (2003), p. 9-57. Il prépare
actuellement, pour la collection Micrologus Library,
dirigée par Agostino Paravicini Bagliani, un livre
sur les traités des poisons médiévaux,
dont le titre provisoire est : Entre savoirs théoriques
et usages pratiques : les traités des poisons dans
l'Occident médiéval.
-
Julien VÉRONÈSE, agrégé d'Histoire,
ATER à l'Université de Paris X-Nanterre, a soutenu
en octobre 2004 une thèse de doctorat intitulée
" L'Ars notoria au Moyen Âge et à
l'époque moderne. Étude d'une tradition de magie
théurgique (XIIe-XVIIe siècle) ". Cette
thèse, dirigée par Colette Beaune, sera sans
doute publiée en deux parties : la première,
consacrée à l'étude du phénomène
constitué par l'ars notoria et par les réactions
suscitées par cette sorte de " magie de l'école
", devrait sortir dans la collection " Sciences,
techniques et civilisations du Moyen Âge à l'aube
des Lumières ", dirigée chez Champion par
Danielle Jacquart et Claude Thomasset ; la seconde, constituée
par l'édition des principaux textes d'ars notoria,
les Fores aurei et l'Ars nova, pourrait faire
l'objet du premier volume de la collection Salomon Latinus,
en cours de création à la SISMEL ou au sein
de la Micrologus Library. Julien Véronèse
a également consacré plusieurs articles à
la littérature anti-divinatoire de la fin du Moyen
Âge : " Jean sans Peur et la "fole secte"
des devins : enjeux et circonstances de la rédaction
du traité Contre les devineurs (1411) de Laurent
Pignon ", Médiévales, t. 40 (printemps
2001), p. 113-132 ; et " Contre la divination et la magie
à la cour : trois traités adressés à
des grands aux XIVe et XVe siècle ", à
paraître dans les actes du colloque Les savoirs à
la cour, organisé à Lausanne en novembre
2004 par la revue Micrologus.
Par
ailleurs, les trois membres du sous-axe " Magie, divination,
poison " ont décidé de s'impliquer directement,
en collaboration avec d'autres chercheurs, dans l'organisation
d'une journée d'études autour de la personnalité
de Pietro d'Abano.
Projet
Pietro d'Abano
"
1305. Petrus de Ebano, excellant phillozophe, medicin et astrologien,
resident a Padue, fut et florit environ ce temps, lequel obtint
pour son temps le nom de Consilliateur. Cestui a bien monstré
que vault et de quoy sert astrologie es euvres de medicine.
Aucuns dient qu'il traicta sur astrologie, touteffoiz ces
livres ne me sont point apparuz. Aucuns dient qu'il predist
par astrologie plusieurs choses a Henry l'empereur 7e de ce
nom, de la destrucion d'aucune secte, c'est des Templiers,
comme aucuns estiment. Cestui fist le livre Des venins.
Aucuns dient qu'il fut grant philosophe et excellant magicien.
J'ay veu de mes yeux a Padue ung puis, lequel puis le vulgal
tient que icelui de Ebano fist transporter de lieu en autre
et est a present en place publique et est fait en maniere
d'une cuve a baigner. Plusieurs choses en sont escriptes de
ses haulx faiz que je laisse. "
Cette
notice du Recueil des plus célèbres astrologues
de Simon de Phares constitue un intéressant témoignage
sur la réputation de Pietro d'Abano à la fin du
XVe siècle. Pietro d'Abano (1257 - v. 1315) était
surtout connu pour être l'auteur du fameux Conciliator
differentiarum philosophorum et precipue medicorum, ouvrage
dans lequel il se montre effectivement très favorable
à l'astrologie judiciaire et à la médecine
astrologique, et pourfend l'ignorance des théologiens
en la matière. Le Conciliator, ainsi que le traité
de Pietro sur les poisons, le De venenis, et son traité
de physiognomonie, le Liber compilationis phisionomie, connurent
une diffusion manuscrite relativement modeste mais bénéficièrent
d'un immense succès à la Renaissance, grâce
à l'imprimerie. Quant à la fama de magicien de
Pietro, elle naquit de son vivant et ne fit que croître
et embellir aux XVe et XVIe siècles.
Dans une perspective d'histoire culturelle, le présent
projet de recherches a donc un double objectif :
1.
il s'agit de voir comment est née et a mûri la
légende de Pietro d'Abano, de son vivant et post
mortem, et comment et pourquoi ce médecin, astronome-astrologue,
toxicologue et philosophe de la nature, est devenu un magicien
célébrissime à la Renaissance ;
2. il s'agit aussi de publier des textes importants en pièces
justificatives, textes qui marquent certaines des étapes
dans la genèse de cette légende.
Dans
cette perspective et dans le cadre du prochain plan quadriennal,
cette journée consacrée à Pietro d'Abano
pourrait constituer ainsi la première étape d'un
programme de recherches et d'une série de rencontres
sur le thème " Science et magie du Moyen Âge
à la Renaissance ", organisées en collaboration
entre le LAMOP, l'EPHE, l'ACI " Histoire des savoirs "
et l'École Française de Rome.
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