C'est
le thème fondateur de l'axe qui a été constamment
renouvelé grâce à l'apport des jeunes chercheurs.
Il comporte trois grands projets.
Justice
et force
Il s'agit d'explorer la contrainte judiciaire, non seulement
en tant qu'elle exploite la violence brute mais aussi en tant
qu'elle y mêle le souci de se ménager la conviction
du justiciable. Pour en comprendre le but, on peut partir de
Pascal (Pensées, 285) :
Justice
et force.- Il est juste que ce qui est juste soit suivi, il
est nécessaire que ce qui est le plus fort soit suivi.
La justice sans la force est impuissante ; la force sans la
justice est tyrannique. La justice sans force est contredite
parce qu'il y a toujours des méchants ; la force sans
la justice est accusée. Il faut donc mettre ensemble
la justice et la force et, pour cela, faire que ce qui est
juste soit fort, ou que ce qui est fort soit juste.
La justice est sujette à dispute, la force est très
reconnaissable et sans dispute. Ainsi on n'a pu donner la
force à la justice, parce que la force a contredit
la justice et a dit qu'elle était injuste, et a dit
que c'était elle qui était juste. Et ainsi,
ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a
fait que ce qui est fort fût juste.
Cette
page bien connue de Pascal condense en quelques lignes la problématique
de ce que nous nommons aujourd'hui l'Etat de droit, Etat qui
a vocation, à nos yeux, à réaliser la combinaison
idéale d'une justice qui sait s'imposer et interdire
la force. Cependant, cette problématique n'a encore inspiré
les médiévistes que de façon marginale
et elle ne leur a pas fourni une thématique susceptible
de constituer pour leurs recherches un centre fédérateur.
Or, au degré de développement qu'ont atteint les
recherches sur la genèse de l'Etat, la criminalité
et la construction du pénal, la régulation judiciaire
des rapports sociaux, il nous a paru que les temps étaient
mûrs pour un retour sur Pascal, non pas dans la perspective
de spéculations philosophiques, mais pour vivifier le
regard de l'historien sur les sociétés du bas
Moyen Age.
Du XIIe au XVe siècle, on assiste en Europe occidentale
à la mise en place et à la montée continue
d'une régulation judiciaire opérée au nom
de l'Etat, non dans le cadre édénique d'une société
pacifiée, mais sur fond de tumultes. De la rixe à
la vengeance, de la vengeance à la révolte, des
spasmes de la guerre féodale de château à
château aux dévastations des bandes prédatrices
et à la guerre nationale, la violence est largement pratiquée
et tolérée. Rien de tout cela, cependant, n'empêche
une juridiction comme le Parlement d'augmenter d'année
en année le volume des causes qu'elle enrôle. Ni
les professions judiciaires, avocats, procureurs, greffiers,
de se développer et de conforter continûment leur
implantation dans les villes.
Pendant longtemps, la théorie de l'Etat s'est nourrie
de la thèse wéberienne du " monopole étatique
de la violence légitime ", par où on suppose
souvent surmonté dans l'Etat le paradoxe pascalien. Mais
les tentatives d'éprouver par l'histoire comment pourrait
se construire un pareil monopole (la plus significative et la
plus connue étant aujourd'hui celle de Norbert Elias)
se heurtent à des objections considérables. Sur
les rapports entre économie, finances, force publique
et ordre public, nous disposons de quelques modèles historiographiques
stimulants, mais qui méritent tous d'être testés.
Le propos est de cerner le développement de la régulation
judiciaire dans son rapport à toutes les formes de violence,
si possible sans en excepter aucune : violence de l'appareil
judiciaire lui-même, orientée vers l'obéissance
du justiciable (arrestation, détention, torture, saisie)
ou le châtiment (supplice) ; violences dites " privées
" sur les biens (rescousse, prise de gages) ou sur les
personnes (de la rixe à la vengeance) ; violences qui
occupent l' "espace public ", de la révolte
à l'assassinat politique et à la guerre. Il ne
s'agira pas à proprement parler de reprendre la description
de ces différentes catégories de comportements
violents, sur lesquels nous disposons déjà de
travaux importants -quoique certains thèmes comme la
vengeance ou la profession de sergent nécessitent des
compléments d'enquête. Il s'agit surtout de cerner
des articulations et de saisir les clefs des coexistences :
comment ce qui, de nos jours apparaît comme " ordre
" ou " désordre ", respect ou mépris
de la vie humaine, justice triomphante ou justice bafouée,
comment tout cela peut tenir dans la même société
? Et, en outre, comment tout cela peut-il participer d'une dynamique
du changement social dont l'aboutissement, à la fin du
Moyen Age, serait un Etat plus fort et peut-être même
plus juste ?
Ce programme rassemble en priorité ceux dont les travaux
ont porté sur des sujets voisins : typologie et symbolique
des violences au service du droit (Robert Jacob), violence licite
et violence illicite (Claude Gauvard), formation d'un champ
juridique inédit, qu'on peut appeler champ " civil-pénal
" et que caractérise la prison pour dette (Julie
Mayade-Claustre), construction du régime pénal
des infractions contre les biens (Valérie Toureille),
répression ou liberté de la parole publique (Corinne
Leveleux), genèse des encadrements judicaires locaux
(Sébastien Hamel, Pierre Prétou), concurrence
entre les coercitions étatiques, seigneuriales et religieuses
(Julien Demade, Véronique Beaulande).
Outre le séminaire annuel, plusieurs membres de cette
équipe ont déjà testé différentes
approches lors de la rencontre internationale qui a eu lieu
à Québec, en septembre 2004, sur le monde des
petits officiers de justice. Il est envisagé de réunir,
en 2007, une table ronde internationale sur " La vengeance
au bas Moyen Age ", qui ferait suite à celle qui
a été s'est tenue à l'Ecole Française
de Rome en 2003 et qui portait sur la vengeance de la fin de
l'Antiquité au XIIe siècle. Cette table ronde
pourrait avoir lieu à Bellagio, The Rockefeller Foundation,
Study and Conference Center.
Les
pratiques judiciaires, entre opinion et justice
La
pratique du lynchage a déjà été
abordée par Claude Gauvard. Il serait intéressant
de prolonger l'enquête sur la dénonciation, à
l'interface de la procédure et de la délation.
C'est ce qui sera envisagé lors d'une petite table ronde
qui pourra être prévue en accord avec l'Ecole française
de Rome ou de façon indépendante, dans le cadre
des liens entre le LAMOP et l'IUF, en 2006. En 2005, Claude
Gauvard et Robert Jacob participent aux rencontres de Cerisy,
sur le thème "Les sentiments et le politique ",
ce qui permet de faire le point sur les recherches antérieures
relatives aux émotions et la justice.
Justice
et écrit
Cette partie consacrée à l'édition de textes
judiciaires comporte plusieurs projets déjà bien
avancés. Les textes, originaux et traduction en français),
seront publiés par les Publications de la Sorbonne sous
la forme d'une collection " Des mots pour la justice "
:
-
Le registre des écrous du Châtelet, 1488-1489
: C. Leveleux, J. Mayade-Claustre, V. Toureille, avec la collaboration
de L. de Carbonières, manuscrit prévu 2006..
- Evêques en procès à la fin du XVe
siècle : V. Julerot, manuscrit prévu, 2005.
- Officiers en procès au XVe siècle :
O. Mattéoni, manuscrit prévu 2005.
- Procès de Charles de Melun : travail collectif
sous la responsabilité d'O. Mattéoni et Claude
Gauvard.
- Les justices seigneuriales : Seigneurie de Faremoutiers
au XVe siècle : travail collectif sous la responsabilité
de Claude Gauvard ; Justice de Busset et d'Ebreuil (Olivier
Mattéoni).
L'édition
d'autres procès du règne de Louis XI est prévue,
en particulier le procès de Jacques d'Armagnac. L'intérêt
pour ces textes pourrait être prolongé, dans la
perspective de nouvelles thèses, par la publication de
procès de canonisation : il s'agit là d'une uvre
de longue haleine.
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