Comportements et lien social
Histoire de la justice
responsable Robert Jacob

 

programme
Histoire
de la justice






C'est le thème fondateur de l'axe qui a été constamment renouvelé grâce à l'apport des jeunes chercheurs. Il comporte trois grands projets.

Justice et force

Il s'agit d'explorer la contrainte judiciaire, non seulement en tant qu'elle exploite la violence brute mais aussi en tant qu'elle y mêle le souci de se ménager la conviction du justiciable. Pour en comprendre le but, on peut partir de Pascal (Pensées, 285) :

Justice et force.- Il est juste que ce qui est juste soit suivi, il est nécessaire que ce qui est le plus fort soit suivi. La justice sans la force est impuissante ; la force sans la justice est tyrannique. La justice sans force est contredite parce qu'il y a toujours des méchants ; la force sans la justice est accusée. Il faut donc mettre ensemble la justice et la force et, pour cela, faire que ce qui est juste soit fort, ou que ce qui est fort soit juste.
La justice est sujette à dispute, la force est très reconnaissable et sans dispute. Ainsi on n'a pu donner la force à la justice, parce que la force a contredit la justice et a dit qu'elle était injuste, et a dit que c'était elle qui était juste. Et ainsi, ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste.

Cette page bien connue de Pascal condense en quelques lignes la problématique de ce que nous nommons aujourd'hui l'Etat de droit, Etat qui a vocation, à nos yeux, à réaliser la combinaison idéale d'une justice qui sait s'imposer et interdire la force. Cependant, cette problématique n'a encore inspiré les médiévistes que de façon marginale et elle ne leur a pas fourni une thématique susceptible de constituer pour leurs recherches un centre fédérateur. Or, au degré de développement qu'ont atteint les recherches sur la genèse de l'Etat, la criminalité et la construction du pénal, la régulation judiciaire des rapports sociaux, il nous a paru que les temps étaient mûrs pour un retour sur Pascal, non pas dans la perspective de spéculations philosophiques, mais pour vivifier le regard de l'historien sur les sociétés du bas Moyen Age.

Du XIIe au XVe siècle, on assiste en Europe occidentale à la mise en place et à la montée continue d'une régulation judiciaire opérée au nom de l'Etat, non dans le cadre édénique d'une société pacifiée, mais sur fond de tumultes. De la rixe à la vengeance, de la vengeance à la révolte, des spasmes de la guerre féodale de château à château aux dévastations des bandes prédatrices et à la guerre nationale, la violence est largement pratiquée et tolérée. Rien de tout cela, cependant, n'empêche une juridiction comme le Parlement d'augmenter d'année en année le volume des causes qu'elle enrôle. Ni les professions judiciaires, avocats, procureurs, greffiers, de se développer et de conforter continûment leur implantation dans les villes.

Pendant longtemps, la théorie de l'Etat s'est nourrie de la thèse wéberienne du " monopole étatique de la violence légitime ", par où on suppose souvent surmonté dans l'Etat le paradoxe pascalien. Mais les tentatives d'éprouver par l'histoire comment pourrait se construire un pareil monopole (la plus significative et la plus connue étant aujourd'hui celle de Norbert Elias) se heurtent à des objections considérables. Sur les rapports entre économie, finances, force publique et ordre public, nous disposons de quelques modèles historiographiques stimulants, mais qui méritent tous d'être testés.

Le propos est de cerner le développement de la régulation judiciaire dans son rapport à toutes les formes de violence, si possible sans en excepter aucune : violence de l'appareil judiciaire lui-même, orientée vers l'obéissance du justiciable (arrestation, détention, torture, saisie) ou le châtiment (supplice) ; violences dites " privées " sur les biens (rescousse, prise de gages) ou sur les personnes (de la rixe à la vengeance) ; violences qui occupent l' "espace public ", de la révolte à l'assassinat politique et à la guerre. Il ne s'agira pas à proprement parler de reprendre la description de ces différentes catégories de comportements violents, sur lesquels nous disposons déjà de travaux importants -quoique certains thèmes comme la vengeance ou la profession de sergent nécessitent des compléments d'enquête. Il s'agit surtout de cerner des articulations et de saisir les clefs des coexistences : comment ce qui, de nos jours apparaît comme " ordre " ou " désordre ", respect ou mépris de la vie humaine, justice triomphante ou justice bafouée, comment tout cela peut tenir dans la même société ? Et, en outre, comment tout cela peut-il participer d'une dynamique du changement social dont l'aboutissement, à la fin du Moyen Age, serait un Etat plus fort et peut-être même plus juste ?

Ce programme rassemble en priorité ceux dont les travaux ont porté sur des sujets voisins : typologie et symbolique des violences au service du droit (Robert Jacob), violence licite et violence illicite (Claude Gauvard), formation d'un champ juridique inédit, qu'on peut appeler champ " civil-pénal " et que caractérise la prison pour dette (Julie Mayade-Claustre), construction du régime pénal des infractions contre les biens (Valérie Toureille), répression ou liberté de la parole publique (Corinne Leveleux), genèse des encadrements judicaires locaux (Sébastien Hamel, Pierre Prétou), concurrence entre les coercitions étatiques, seigneuriales et religieuses (Julien Demade, Véronique Beaulande).

Outre le séminaire annuel, plusieurs membres de cette équipe ont déjà testé différentes approches lors de la rencontre internationale qui a eu lieu à Québec, en septembre 2004, sur le monde des petits officiers de justice. Il est envisagé de réunir, en 2007, une table ronde internationale sur " La vengeance au bas Moyen Age ", qui ferait suite à celle qui a été s'est tenue à l'Ecole Française de Rome en 2003 et qui portait sur la vengeance de la fin de l'Antiquité au XIIe siècle. Cette table ronde pourrait avoir lieu à Bellagio, The Rockefeller Foundation, Study and Conference Center.

Les pratiques judiciaires, entre opinion et justice

La pratique du lynchage a déjà été abordée par Claude Gauvard. Il serait intéressant de prolonger l'enquête sur la dénonciation, à l'interface de la procédure et de la délation. C'est ce qui sera envisagé lors d'une petite table ronde qui pourra être prévue en accord avec l'Ecole française de Rome ou de façon indépendante, dans le cadre des liens entre le LAMOP et l'IUF, en 2006. En 2005, Claude Gauvard et Robert Jacob participent aux rencontres de Cerisy, sur le thème "Les sentiments et le politique ", ce qui permet de faire le point sur les recherches antérieures relatives aux émotions et la justice.

Justice et écrit

Cette partie consacrée à l'édition de textes judiciaires comporte plusieurs projets déjà bien avancés. Les textes, originaux et traduction en français), seront publiés par les Publications de la Sorbonne sous la forme d'une collection " Des mots pour la justice " :

- Le registre des écrous du Châtelet, 1488-1489 : C. Leveleux, J. Mayade-Claustre, V. Toureille, avec la collaboration de L. de Carbonières, manuscrit prévu 2006..
- Evêques en procès à la fin du XVe siècle : V. Julerot, manuscrit prévu, 2005.
- Officiers en procès au XVe siècle : O. Mattéoni, manuscrit prévu 2005.
- Procès de Charles de Melun : travail collectif sous la responsabilité d'O. Mattéoni et Claude Gauvard.
- Les justices seigneuriales : Seigneurie de Faremoutiers au XVe siècle : travail collectif sous la responsabilité de Claude Gauvard ; Justice de Busset et d'Ebreuil (Olivier Mattéoni).

L'édition d'autres procès du règne de Louis XI est prévue, en particulier le procès de Jacques d'Armagnac. L'intérêt pour ces textes pourrait être prolongé, dans la perspective de nouvelles thèses, par la publication de procès de canonisation : il s'agit là d'une œuvre de longue haleine.