A Les copistes français de manuscrits, XIVe-
XVe siècles
Etude codicologique et prosopographique (Émilie Cottereau)
Acteurs principaux du processus qui conduit à la fabrication
du livre manuscrit, intermédiaires incontournables dans
le processus de circulation et de transmission de la culture,
les copistes, quel que soit leur statut et quelles que soient
les modalités de leur travail, se trouvent au cur
à la fois de l'histoire du livre et de l'histoire intellectuelle.
Jusqu'à ces dernières années, pourtant,
leur rôle et leur activité n'avaient jamais fait
l'objet d'une étude systématique, et l'on comprend
aisément les raisons de ce désintérêt
si l'on songe à la rareté, dans les archives françaises,
de documents qui ont trait à la copie des manuscrits.
C'est donc à partir des manuscrits eux-mêmes qu'a
été entreprise une recherche d'envergure sur cette
véritable " armée de l'ombre ". Malheureusement,
les colophons de copiste ne deviennent suffisamment nombreux
qu'à partir du XIVe siècle. La recherche entreprise
- sujet d'une thèse de doctorat dont la soutenance est
prévue en principe pour fin 2004 - comporte en fait deux
volets formellement distincts : un volet prosopographique et
un volet codicologique. Il s'agit donc de répondre simultanément
à deux questions : d'une part, " qui étaient
les copistes ? ", à partir des colophons ; de l'autre,
" comment travaillaient-ils ? ", à partir,
précisément, du résultat tangible - la
page écrite - que nous avons sous les yeux. Dans ce contexte,
plusieurs problématiques ont été abordées.
En premier lieu, le statut du copiste et son évolution
éventuelle dans le temps. L'idée que l'on se fait
spontanément du copiste est celle d'un professionnel
rémunéré par un commanditaire. Est-ce que
les copistes qui signent leur travail ont le même statut
que leurs prédécesseurs ? Il est certain, en tout
cas, que l'analyse des colophons dont nous disposons semble
tracer les contours d'un panorama de plus en plus varié
des " circuits de copie " par rapport à l'archétype
du copiste " contractuel ". Deuxièmement, la
reconstitution des modalités du processus de copie :
l'existence éventuelle d'une spécialisation linguistique,
les conditions de travail, la répartition des tâches
entre les divers artisans du manuscrit. Cependant, le volet
le plus important de l'enquête, et aussi le plus novateur
sur le plan méthodologique, concerne moins la personne
du copiste que le produit issu de son savoir-faire : la page
écrite. Cette analyse des pratiques du métier
a requis l'analyse minutieuse d'un corpus de 250 manuscrits
datés et signés ; analyse qui a été
surtout ciblée sur les aptitudes des copistes à
fournir un tracé pouvant être confortablement lu
par le lecteur et sur les modalités d'usage, fort complexes,
du système abréviatif. L'énorme quantité
d'information recueillie a été traitée
selon les méthodes de la codicologie quantitative. Les
principes inspirateurs de ce travail et quelques aspects de
la problématique ont fait l'objet de communications dans
des colloques internationaux.
B Étude d'un corpus : les " bibles de
poche " aux XIIIe et XIVe siècles : Chira Ruzzier
La révision du texte de la Bible promue par l'Université
de Paris au début du XIIIe siècle s'est accompagnée,
dans des conditions qui demeurent encore mal éclaircies,
d'une redéfinition de la destination du texte : alors
que dans les monastères on fabriquait des bibles de grand
format destinées à la lecture collective, au sein
des universités et des ordres mendiants la Bible se transforme
en un objet maniable destiné à la lecture individuelle
et qui doit donc contenir la totalité du texte dans un
volume de petites dimensions. Ce phénomène tout
à fait nouveau a nécessité un réaménagement
radical aussi bien de la structure matérielle du livre
que du faciès de la page écrite. Ainsi, les nouvelles
bibles font apparaître des solutions entièrement
inédites. Il s'agit, de plus, du produit le plus élaboré
des techniques artisanales urbaines pendant l'apogée
de la culture universitaire : ces bibles sont des objets qui
possèdent beaucoup de caractéristiques communes
et présentent une remarquable régularité
d'exécution d'un bout à l'autre du texte. La production
des " bibles de poche " se répand dans divers
pays (principalement France et Angleterre) et s'étale
sur environ un siècle. Le total de livres produits a
très certainement dû dépasser les dix mille
unités, puisque le recensement en cours (dans le cadre
d'un DEA puis d'une thèse de doctorat confiée
à Chiara Ruzzier) - nécessairement non exhaustif
- en dénombre d'ores et déjà 1300. L'existence
d'un si grand nombre d'objets semblables contenant le même
texte se prête admirablement à une enquête
d'ensemble portant sur les caractéristiques graphiques
et codicologiques, ainsi que sur le contenu, qui s'appuierait
sur un corpus de 200 ou 300 manuscrits.
C La transcription des manuscrits glosés :
Marilena Maniaci
Les manuscrits byzantins de l'Iliade continuent d'être
au centre des préoccupations de Marilena Maniaci qui
a prévu de continuer ses recherches sur l'interaction
entre le texte et son commentaire en transcrivant trois exemplaires
commentés de l'Iliade qui dérivent tous d'un même
archétype et en reproduisent plus ou moins fidèlement
la philosophie de la mise en page.
D Les politiques éditoriales des imprimeurs
européens dans la seconde moitié du XVe siècle
: Xavier Hermand
[projet FUNDP, Belgique]
1°
OBJECTIFS
L'un des faits marquants de l'histoire de la culture en Occident
est constitué par l'apparition, le développement
et le triomphe final de l'imprimé dans la seconde moitié
du XVe siècle. Il s'agit là de la deuxième
des trois " révolutions " du livre, après
l'invention du codex à la fin de l'Antiquité et
avant le formidable essor de l'informatique dans les dernières
décennies du XXe siècle. Innovation technologique,
l'imprimé est surtout une révolution économique
et culturelle par rapport au manuscrit. L'univers du manuscrit
fonctionne en effet selon des lois radicalement différentes
de celui de l'imprimé ; de l'un à l'autre, il
y a plus qu'une différence de degré : une transformation
de la nature même du médium, avec des conséquences
structurelles profondes.
Dans le monde du manuscrit, le livre est normalement destiné
à être utilisé pendant des générations
: objet coûteux, il est fabriqué sur commande,
en réponse à des besoins précis que le
marché du livre d'occasion - local ou, au mieux, régional
- ne peut satisfaire ; dans ce système caractérisé
par l'inertie et la stabilité, l'offre de livres est
entièrement dirigée par la demande.
Avec la mise au point du procédé typographique,
tout change. Si, à l'évidence, l'imprimerie permet
la diffusion de n'importe quelle oeuvre à une échelle
inconnue jusqu'alors, elle impose surtout de nouvelles contraintes
et détermine d'importants changements dans la conception
même du livre et dans l'importance dévolue aux
différents acteurs culturels. Dans le système
de production de l'imprimé, le rôle des imprimeurs
devient en effet primordial. Ces derniers sont placés
devant la nécessité de produire et d'écouler
un maximum d'exemplaires de chaque texte imprimé afin
de rentabiliser l'important investissement consenti pour chaque
édition ; mais, dans le même temps, ils sont confrontés
à un marché du livre qui s'est internationalisé
en raison même de cette obligation de diffusion et où,
de ce fait, la concurrence est rude.
Dans ce contexte difficile, les imprimeurs vont devoir procéder
à un ensemble de choix concernant la typologie des textes
à imprimer, les marchés à prospecter, le
public à toucher, la présentation des textes,
la qualité du produit, etc. : en somme, développer
de véritables " politiques éditoriales ".
À leur tour, ces choix se traduiront concrètement
à travers un large éventail d'options : textes
en latin ou en langues vulgaires ; textes anciens, récents
- souvent remaniés pour les besoins de la cause - ou
contemporains ; textes largement diffusés ou encore inédits,
etc. Ce sont ces politiques éditoriales développées
par les imprimeurs européens, les évolutions et
les mutations qu'elles ont connues au cours des quelques décennies
qui ont suivi l'invention du procédé typographique,
et les facteurs tout à la fois culturels et économiques
qui les ont engendrées et stimulées que ce projet
aurait pour ambition d'étudier.
Cette thématique n'a jusqu'ici guère suscité
l'intérêt des spécialistes. L'histoire de
l'imprimé à ses débuts souffre en effet
d'un déficit d'enquêtes générales
et systématiques pour s'être bien souvent confondue
avec celle des villes d'imprimerie, des ateliers typographiques
ou des principaux imprimeurs. Et si les dernières années
ont vu la parution de quelques études d'envergure dégageant
les tendances générales de la production du livre
imprimé dans le premier demi-siècle de son existence,
on doit bien convenir que le champ ainsi dégagé
demeure, aujourd'hui encore, largement en friche...
2° DÉMARCHE MÉTHODOLOGIQUE
La seconde moitié du XVe siècle constituerait
le cadre chronologique de l'enquête, borné en amont
par l'invention de l'imprimerie vers 1455, et en aval par la
date de 1501, qui marque traditionnellement la fin de l'époque
de l'incunable. Ce terminus ante quem conventionnel se justifie
principalement par des raisons pragmatiques : le répertoriage
des éditions du XVIe siècle reste largement inachevé,
ce qui n'est pas le cas pour la période antérieure.
En effet, si à ce jour, et malgré la masse de
travaux érudits consacrés aux débuts de
l'âge typographique, le chercheur ne dispose toujours
pas d'une description détaillée des quelque 26000
éditions antérieures à 1501 conservées
dans le monde, il peut néanmoins déjà tirer
parti d'une série d'instruments de travail : dans la
plupart des grands pays d'Occident, les incunables ont fait
(et font encore) l'objet d'entreprises de recensement et de
catalogage ; la constitution d'un répertoire général
des incunables, entrepris depuis plusieurs dizaines d'années,
se poursuit régulièrement ; surtout, un instrument
de travail électronique récent, l'Illustrated
Incunabula Short-Title Catalogue, répertorie les informations
de base relatives à l'ensemble des éditions incunables.
Toutes les données fournies par ces instruments de travail
constituent un gisement documentaire privilégié,
que l'on peut exploiter de diverses manières, dans le
cadre dans le cadre d'un traitement général et
statistique, à travers la constitution d'une banque de
données de type Access ou Excel. Il conviendrait donc,
pour chaque édition et chaque uvre, de récolter
une série d'informations " basiques ". Pour
les éditions : lieu et date d'impression, éditeur/imprimeur,
format, nombre et localisation des exemplaires conservés
de chaque édition, statut de l'édition (édition
princeps dans le monde, dans un pays, dans une ville, chez un
imprimeur ; édition remaniée, simple réplique,
etc.). Pour les uvres : auteur et titre, typologie textuelle
(organisée selon une grille d'analyse multiple, tenant
compte du " genre " des textes, de leur destination,
de leur usage, etc.), date de rédaction, langue, mais
aussi statut du texte (hapax éditorial, forme littéraire,
best-seller européen, etc.). Certaines de ces données
sont disponibles telles quelles dans les répertoires
mentionnés (par exemple la date d'édition ou le
titre de l'uvre) ; d'autres sont présentes implicitement
dans ces répertoires, mais doivent être organisées
sous une forme explicite (par exemple le statut de l'édition)
; d'autres encore doivent être recherchées dans
d'autres instruments de travail (par exemple les dates de naissance
et de mort de l'auteur, la date de rédaction de l'uvre
ou la typologie du texte).
Systématiquement enregistrés dans une banque de
données, tous ces paramètres, une fois croisés
entre eux, devraient permettre d'aller au-delà d'une
analyse de type bibliométrique, destinée à
identifier les textes qui ont fait l'objet d'une ou de plusieurs
éditions incunables et à mesurer leur popularité,
et de répondre à une série de questions
générales de définir les tactiques éditoriales
mises en uvre par les imprimeurs, d'estimer le type et
le volume de la production dans les différents centres
européens, et leur évolution en fonction des politiques
éditoriales y développées.
Plus largement, le projet de recherche proposé s'inscrit
dans la lignée des travaux menés par le professeur
G. Philippart (émérite depuis septembre 2003),
principalement la constitution d'une banque de données
consacrée aux manuscrits hagiographiques latins, dont
l'intérêt est reconnu par la communauté
scientifique, et qui devrait permettre de renouveler nos connaissances
sur les mécanismes de la diffusion des textes hagiographiques
au Moyen Âge. L'un des points communs entre cette entreprise
et le projet ici déposé est la volonté
de dépasser les approches érudites de la documentation
et les analyses de cas - dont nul, par ailleurs, ne songerait
à nier la pertinence - pour proposer des approches quantitatives
des phénomènes culturels. Mené à
bien, le projet ici présenté ne pourrait que profiler
plus encore les FUNDP dans cette démarche méthodologique
novatrice en matière d'histoire de la culture écrite
médiévale.
Cette recherche s'effectuerait en collaboration étroite
avec le Laboratoire de médiévistique occidentale
de Paris (UMR 8589, associant étroitement des chercheurs
du CNRS et les enseignants médiévistes de l'Université
de Paris I), où j'ai travaillé durant près
de trois années. L'un des axes de recherches de ce laboratoire
est consacré à l'histoire de livre, autour de
J.-P. Genet, E. Ornato et C. Bozzolo, et le projet d'étude
des stratégies éditoriales développées
par les imprimeurs européens au XVe siècle se
situe d'ailleurs directement dans la continuité des recherches
menées dans cet axe par E. Ornato. Il s'agit d'une solide
garantie d'obtentions rapides de résultats. La réputation
scientifique du Laboratoire de médiévistique occidentale
de Paris, qui est l'un des principaux centres de recherche en
histoire médiévale, constitue le gage de la réussite
du projet et ne pourrait que renforcer les liens qui existent
déjà entre les FUNDP et cette institution.
E. Représenter, faire voir (Françoise Perrot)
Françoise Perrot va poursuivre ses recherches actuelles
sur le vitrail médiéval et sa fonction d'affichage,
avec une attention particulière pour sa double insertion
iconographique, dans la vie de la société du temps
et dans l'ensemble organique du monument auquel il appartient.
Elle n'en sacrifiera pas pour autant l'indispensable participation
aux chantiers de restauration (expertises auprès des
instances de décision, conseil auprès des ateliers)
car cette disponibilité qui lui est demandée,
bien loin de nuire à ses recherches leur apporte en continu
matériau et questionnements nouveaux. Elle aura aussi
à répondre, en tant que spécialiste du
vitrail, de son histoire et de ses techniques, aux sollicitations
multiformes des milieux des monuments nationaux en consacrant
toute une part de son activité à la formation
traditionnelle (cours à l'école du Louvres, à
l'ENS des métiers d'art et à l'ENS des arts décoratifs)
mais aussi au renouvellement de l'accueil des visiteurs dans
les monuments : participation aux jurys de recrutement et aux
journées de formation des animateurs du patrimoine, élaboration
de mallettes pédagogiques permettant la visite aux déficients
visuels, les expériences déjà menées
à la Sainte-Chapelle devraient être renouvelées
à Saint-Denis.
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