Ce
programme est actuellement entré dans sa phase de réalisation.
Une première réunion,
qui s'est tenue en octobre 2004 dans les locaux du CNRS de Gif
sur Yvette, a permis de mettre au point les problématiques
et les axes de discussion [ textes en ligne]. Un sous-axe
est en train de se dessiner avec la proposition faite par Julien
Demade (Mission Historique Française en Allemagne) d'étudier
le rapport seigneurial comme mode de la circulation des richesses.
L'histoire économique du Moyen Âge achoppe sur
un certain nombre d'impasses théoriques que l'empirisme
massif de nos pratiques ne parvient pas nécessairement
à résoudre de façon satisfaisante. La plus
évidente de ces impasses - et qu'un programme précédent
du LAMOP a abordée par le biais de l'étude du
marché de la terre - est celle de la possibilité
et de la légitimité du recours aux comptages et
aux mises en série. Ce n'est pas la seule, la définition
même de ce qu'est la richesse au Moyen Âge fait
problème : les analyses actuelles donnent une place croissante
aux éléments symboliques du capital et aux systèmes
favorisant la reproduction. Il n'en demeure pas moins que la
richesse a des fondements matériels concrets et qu'il
faut tenter d'arriver à une synthèse des différents
éléments symboliques et matériels la constituant.
La richesse est d'autre part un concept qu'il faut définir
précisément en le distinguant mieux de celui de
" biens de propriété " comme de celui
de patrimoine, et qu'il faut resituer par rapport aux typologies
techniques des différents scientifiques spécialistes
de la vie matérielle : biens de consommation ostentatoire,
biens précieux, biens supérieurs, facteur de production,
biens sacrés.
Les patrimoines en effet sont plus ou moins complexes et font
une part plus ou moins grande à la terre ou aux biens
meubles ; on peut y distinguer ce qui est productif de ce qui
ne l'est pas et séparer ce qui est symbolique de ce qui
est réellement porteur de valeur économique. Il
existe de plus des biens dont le statut à l'intérieur
d'un patrimoine est ambivalent. Posséder un cheval c'est
à la fois détenir un signe de distinction et un
élément éventuellement productif. Ce qui
est sans doute encore plus vrai, dans le monde rural, à
propos des bufs dont la fonction ne peut être que
d'attelage, alors que le cheval, lui, peut servir au combat.
Un bien patrimonial ne circule assurément pas de la même
manière qu'un bien de consommation. La façon dont
on accède à la jouissance, à la possession
ou à la propriété de ces biens, de même
que la façon dont on s'en dessaisit est elle aussi importante
et peut aider à comprendre le type de fortune auquel
on a affaire. Il arrive qu'on acquière pour mettre en
circulation. Il arrive aussi que l'on ne puisse mettre en circulation
ce que l'on possède. Des biens peuvent être considérés
comme " réservés ", c'est-à-dire
destinés à être théoriquement exclus
de toute forme de circulation par un autre biais que l'héritage
: c'est le cas de la terre et des châteaux, voire des
maisons, dans certaines situations, à partir du XIe siècle
qui peuvent être considérés comme des métaphores
de la position économique et sociale de leurs détenteurs.
Cela amène naturellement à poser la question des
biens précieux, c'est-à-dire des objets qu'il
est important de posséder et que l'on ne doit à
aucun prix céder. L'ensemble des rituels existant autour
des armes durant tout le Moyen Âge indique qu'elles peuvent
aussi être considérées comme relevant de
cette catégorie. Les armes se remettent, elles ne se
rendent pas sauf à perdre liberté et honneur.
La valeur monétaire de l'objet est cependant fréquemment
et normalement connue (une épée peut s'acheter)
; à côté d'elle la valeur de symbole s'attachant
à l'objet (l'épée remise au jeune homme
au cours d'une cérémonie particulièrement
solennelle) doit également être prise en considération
pour comprendre la mise en uvre de la circulation (l'épée
est devenue incessible : on ne vend pas d'avantage les armes
qu'on ne les rend). Pour ces objets la question de la mesure
de la valeur est donc particulièrement délicate
et implique un traitement particulier. Le prix sur le marché
dans ces conditions, même s'il existe, n'est pas un bon
indicateur de la valeur. On thésaurise aussi. L'argent
est aussi une marchandise. L'or et l'argent ont des fonctions
identiques dès lors que l'on parle du bon argent, de
celui des monnaies à fort pouvoir libératoire,
par opposition aux monnaies noires dont la fonction est précisément
de circuler, jamais d'être thésaurisée.
Mais quelle signification les trésors ont-ils ? Ils sont
bien le signe d'un arrêt de certaines formes de circulation.
Le programme se propose donc d'analyser la circulation des biens
en suivant les objets en fonction des temps, des lieux et des
milieux sociaux. On cherchera ainsi à déterminer
comment chaque groupe définit les biens importants et
les biens précieux et quel type de circulation est organisé
pour chacun d'eux et entre eux. Il s'agit de s'interroger sur
ce que les acteurs considèrent ou ne considèrent
pas comme une transaction commerciale en analysant les circonstances
de celle-ci et, en particulier, en se demandant ce que signifie
le mot " prix " lorsqu'il apparaît dans les
textes. À la suite d'une réunion préparatoire
en octobre 2003, un questionnaire a été élaboré
qui doit guider les travaux de la première réunion.
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